Le compte-rendu de la dernière audition en date de la
Commission de la Défense au Parlement britannique a été mis en ligne cette semaine,
avec des précisions édifiantes dans plusieurs domaines. Au-delà des
escarmouches de plus en plus animées sur le dossier écossais proprement
dit (dans la perspective du référendum sur la séparation, prévu pour septembre
2014), les témoignages recueillis mettent en lumière à la fois un
mécontentement à propos de l’état général des forces armées britanniques, et
des questionnements sur le secteur de l’armement au Royaume-Uni. Pour ce qui
est du premier point, le représentant du gouvernement d’Edinburgh, par ailleurs
lui-même un vétéran de la guerre des Falklands, n’a pas mâché ses mots :
le traitement réservé au personnel militaire britannique (à commencer par la précarité
croissante de leur statut, et jusqu’aux épisodes absurdes où les soldats en
opération extérieure ont dû acheter leurs chaussures et leurs rations à leurs
propres frais) est en effet « une violation fondamentale du pacte qui doit
exister entre les hommes et femmes en uniforme et leurs maîtres
politiques ». Au sujet de l’industrie de défense, les interrogations que
suscite dans ce domaine l’hypothèse d’une Ecosse indépendante ont été
l’occasion de rappeler « la litanie des désastres que le Royaume-Uni a dû
endurer en matière d’acquisition des équipements ».
Surtout, à la
même audition, on n’a pu que constater une méconnaissance certaine des
questions d’armement. Que les députés de la Commission de défense croient, à
tort, que la
dérogation de l’article 346 (ancien article 296) du traité de
l’UE ne s’applique que pour le choix de constructeurs nationaux (et essaient
d’en tirer argument pour expliquer l’exclusion des firmes écossaises des
contrats UK en cas de vote pour l’indépendance), c’est une chose. Que le
ministre de la Défense auditionné ne puisse même pas nommer correctement cet
article du traité, pourtant clef-de-voûte de la législation européenne en
matière d’armement, pourrait aussi se pardonner à la limite (surtout quand on
voit que le même ministre confond également la République de Macédoine et le
Monténégro, en parlant des difficultés d’adhésion à l’Alliance atlantique). En
revanche, les longues élucubrations sur le soi-disant critère de la
souveraineté britannique dans le domaine de l’approvisionnement en matériel
militaire ne pouvaient être que le fruit d’une hallucination collective.
Un pays dont les équipements conventionnels (comme
les hélicoptères Apache) se retrouveraient du jour au lendemain hors de
service à moins de suivre le rythme et la piste de modernisation dictés par l’Amérique,
aux dates et aux coûts définis par celle-ci ; un pays dont la force de
dissuasion prétendument indépendante est tributaire, en permanence, de la bonne
volonté des Etats-Unis ; un pays qui se vante d’avoir rompu avec la notion
de « base industrielle de défense » pour y substituer celle du seul
rapport coût/efficacité – on se demande comment les responsables politiques d’un
tel pays osent-ils encore, sans sourire, parler de souveraineté. Déjà pour « la
construction des bâtiments de guerre complexes », que le ministre Hammond a
identifiée avec fierté comme le domaine par excellence de souveraineté, il ne
pouvait s’agir que d’une plaisanterie. Etant donné que, pour son prochain
porte-avions, le gouvernement britannique avait été publiquement mis devant le
fait accompli…
Les propos critiques du
vice-ministre russe de la Défense Anatoli Antonov au sujet de la présence d’armes
nucléaires US en Europe sont difficilement compatibles avec l’atmosphère
positive et constructive décrite
par les responsables de l’administration américaine à l’issue de la réunion
2+2 (entre les ministres de la Défense et des Affaires étrangères des deux pays).
Ils n’en ont pas moins le mérite de
faire le lien entre deux dossiers : car, en effet, le problème du dénommé « partage »
nucléaire de l’OTAN est inséparable de celui de la défense antimissile. Comme noté auparavant, les
arrangements nucléaires de l’Alliance soulèvent de nombreuses interrogations,
dont celle sur leur conformité pour le moins douteuse avec l’esprit et la
lettre du traité de non-prolifération ; d’où les remarques du
vice-ministre russe. Mais il y a plus. A travers l’OTAN, les Européens se
retrouvent « mouillés » dans une stratégie nucléaire défini par Washington,
sans aucun contrôle et de pouvoir de décision, se félicitant déjà quand ils parviennent
à obtenir un simulacre de consultation. Et ce pour le seul plaisir de pouvoir
croire, et faire croire, à un hypothétique parapluie nucléaire américain au-dessus
de notre continent – lequel parapluie est de toute façon, du point de vue
stratégique, un non-sens. Dès lors que l’Amérique n’est plus le seul Etat doté
d’une bombe atomique, il ne peut pas y avoir de dissuasion élargie. A moins de
prétendre que, pour courir à la rescousse de ses alliés, Washington prendrait
le risque de voir son propre territoire anéanti. Difficile à imaginer. C’est
justement pour pallier ce « problème de crédibilité » que les
stratèges américains ont depuis longtemps identifié la solution miracle : la
mise en place d’un système de défense antimissile.
Surprise,
surprise : la DAMB (défense antimissile balistique) fut justement l’autre sujet abordé ce
jour-là par le vice-ministre russe. Notamment pour constater que, malgré ce
nouveau tour de négociations, « pour le moment, aucune solution n'est en
vue ». Avant d’ajouter que « Moscou suivait de près le processus
de déploiement du système antimissile afin d'évaluer un éventuel danger pour
les Forces de dissuasion nucléaire russes ». On peut le croire sur parole.
Malgré les incertitudes techniques et financières du système US/OTAN et en
dépit de la décision annoncée en mars par Washington (en prenant de court les
alliés/partenaires/contributeurs européens) de ne pas aller jusqu’à la phase
finale du projet, le malaise reste. Comme noté auparavant, le
discours hypocrite des Occidentaux assurant que la DAMB ne remettrait pas en
cause la dissuasion russe (puisque cette dernière peut compter, pour frapper
l’Amérique, sur des centaines de missiles stratégiques), n’a rien à voir avec
la véritable préoccupation des planificateurs de Moscou. Car ils s’inquiètent
surtout de la possibilité d’une neutralisation de leur capacité de seconde
frappe. Or celle-ci
constitue le fondement même de la dissuasion mutuelle sur base de
vulnérabilités réciproques. La DAMB, de par son principe, y introduit un sérieux élément de doute, vu
qu’après une éventuelle première frappe américaine, la capacité de représailles
russe pourrait ne plus suffire à la saturer. En effet, quand l’ancien
directeur des programmes spatiaux avancés américains, Robert
Bowman, l’a appelée « le chaînon manquant pour une première frappe »,
ce n’était pas pour plaisanter.
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