Un récent
billet du Center for European Reform
identifie pas moins de quatre différentes approches européennes par rapport à
la réorientation des USA vers l’Asie, annoncée brusquement en janvier 2012, sans
ménagement aucun envers les susceptibilités euro-atlantistes. La première propose de nous joindre au pivot de l’Amérique, en bons auxiliaires que nous
sommes, puisque ce serait tellement bénéfique pour nos relations avec
Washington. L’autre préconise d’entamer notre propre pivot vers l’Asie, pour
des raisons commerciales avant tout, et s’il y a complémentarité entre les deux,
ce serait un bonus.
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Source: Atlantic Council |
Une troisième ligne de pensée, celle
exprimée par le ministre britannique de la défense, conseille de laisser les USA
seul maître à bord en Asie. D’une part parce que nous n’aurions ni les moyens
ni l'ambition de jouer à l’échelle globale (curieux aveu de renoncement, en
particulier venant de la Grande-Bretagne), de l'autre parce que c’est en
prenant en charge la stabilité de notre propre voisinage que nous pouvons être
les plus utiles à l’Amérique. C’est dans ce contexte que l’on se plaît à citer les
responsables US, lesquels ne se lassent pas de répéter à quel point ils sont
maintenant devenus adeptes d’une véritable défense européenne.
La quatrième
approche consiste à se lamenter sur notre sort d’alliés abandonnés. Certains
en sont extrêmement inquiets, et font des pieds et des mains pour garder les
prétendues garanties de sécurité US. Comme le remarque le billet : ces
pays ne croient pas que des Etats européens puissent occuper de manière
crédible le vide laissé par le retrait américain. Ajoutons que d’autres veulent
tout de même espérer que l’intérêt affaibli de Washington pour notre continent
(de pair avec lesdits encouragements à devenir soi-disant plus indépendants)
servirait d’adjuvant à l’Europe de la défense.
Hélas, les appels
incantatoires des Etats-Unis pour que leurs alliés prennent plus d’autonomie
montrent vite leurs limites. Comme le font
remarquer l’ancien patron de l’Agence européenne de défense et son
co-auteur à propos de la nouvelle posture stratégique de l'Amérique : «
Les États-Unis n'attendent certes pas des Européens qu'ils agissent en toute
indépendance vis-à-vis de Washington. Ils voudront que l’action transatlantique
demeure pleinement coordonnée et que subsiste une interopérabilité aussi
étendue que possible entre les forces et les capacités de façon, en
particulier, à permettre l'utilisation d'équipements américains. »
Avec les coupes
budgétaires US, et l’intensification de la concurrence sur les marchés de l’export
qui va avec, on n’est pas près de voir un « désengagement » américain
dans ce domaine essentiel. Pour ce qui est d’acheter US, et de saborder nos propres
projets susceptibles de faire de l’ombre aux champions américains, nous resterons
toujours de très précieux partenaires.
Croire à un effet
bénéfique du pivot pour l’Europe, c’est aussi sans compter avec un
extraordinaire paradoxe. Comme noté auparavant, « l’annonce
de la réorientation stratégique américaine vers l’Asie qui, de toute évidence,
confirmait les thèses « euro-gaullistes » aurait donc normalement dû conduire à
une remise en cause de l’option ultraatlantiste des partenaires de Paris. Force
est de constater que ce n’est pas le cas jusqu’ici. Au contraire, plus
l’Amérique semble s’éloigner, plus les Européens s’empressent de lui donner des
gages, en espérant ainsi rester dans ses bonnes grâces. Au lieu d’une reprise
en main de notre autonomie, on assiste donc plutôt à une crispation atlantiste. »
Finalement, pour
expliquer cette déraison, il convient de se rappeler que l’essentiel, pour la plupart
des gouvernements européens, est de se débarrasser du fardeau financier, mais
aussi politique et psychologique, que signifient les responsabilités liées à la défense de son propre pays. C’est en cela que l’OTAN est irremplaçable, en raison du
mythe du parapluie américain qu’elle est censée incarner. Tant pis si celui-ci n’a
jamais été crédible au niveau stratégique (pour cela, il aurait fallu convaincre tous les adversaires
potentiels que l’Amérique prendrait le risque
de son propre anéantissement juste pour courir à la rescousse de ses
alliés). L’important, c’est de pouvoir faire baisser les budgets de la défense et
occulter les questions militaires peu porteuses électoralement, en prétendant
que l’Amérique sera toujours là, le cas échéant.
Comme noté
précédemment, « tant que l’Europe fut au centre des préoccupations (du
fait de la confrontation bipolaire) ou qu’il ne le fut plus mais cela ne se
disait pas tout haut, on pouvait, à la limite, se bercer d’illusions sur
l’importance de notre vieux continent sur la liste des priorités de la Maison
Blanche. Tel n’est plus le cas. Le ‘pivot’ vers l’Asie y a porté le dernier
coup de grâce. La subordination volontaire des Européens aux Etats-Unis
apparaît comme elle est : au dire de l’ambassadeur de la Chine à Bruxelles, ‘une
servilité pitoyable’. »
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