Défense européenne
La
diplomatie européenne : un désastre programmé ? Ou une déception…
La lucidité d’Hubert Védrine est toujours rafraîchissante. Même si sa
conclusion reste très en-deçà de ce que l’on aurait pu en attendre. D’après le
compte-rendu de Nicolas Gros-Verheyde à propos du forum ‘Réinventer l’Europe’ à
Bruxelles, l’ancien ministre des affaires étrangères était plutôt en verve.
Il raconta
l’épisode de la rédaction du traité de Maastricht, qui a mené à lancer la PESC
(politique étrangère et de sécurité commune) en tant que deuxième pilier de
l'UE. « ‘Je me rappelle. On était dans un
petit bureau avec Joaquim Bitterlich (le Sherpa de Helmut Kohl), Elisabeth
Guigou (ministre des Affaires européennes) et moi-même. Et on avait écrit
cela’. H. Védrine était alors secrétaire général de la présidence de Fr.
Mitterrand. ‘On ne mesurait pas ce qu’on écrit’ a-t-il expliqué. « Je n’ai jamais pensé que les Européens
puissent avoir une expression unique. L’histoire est là. Ce sont des
histoires très différentes, avec des visions très différentes de ce qui est
bien et de mal.’ »
Après avoir
remarqué que si jamais la création du Service européen d’action extérieure
avait été un succès, « cela aurait été un
miracle », il tient tout de suite à préciser que « L’Europe ne se divise pas.
Elle n’a jamais été unifiée. (…) On peut se mettre d’accord facilement sur
des généralités : la paix, la démocratie … Mais, dès qu’il s’agit d’une
question précise : que faire au Proche Orient ? Comment réagir face à la Chine
? Doit-on s’aligner sur les États-Unis, … Les Européens ne sont pas d’accord.’
»
Il commence à en
conclure, fort justement, qu’il est temps
de « prendre le taureau par les
cornes » et de ne pas cacher les divisions. « Il faut trouver des mécanismes de
maturation (des divisions), partir du principe qu’on est divisés ». Et
c’est à ce point-ci que son raisonnement
va se gâter. Pour Védrine, « il
faut choisir des sujets clés et demander
aux pays représentant des positions les plus antagonistes, de travailler entre
eux, pour présenter une synthèse qui soit la plus dynamique possible. Sur des
sujets qui crispent. Comme par exemple la Russie est-elle une menace, un simple
fournisseur de gaz ou un pays avec qui il faut traiter. Si on arrive à trouver
une synthèse entre ces opposés, les autres pourront s’y retrouver. » On
aurait presque envie de rire.
Car c’est justement
la méthode à l’origine de la soi-disant défense européen (de l’UE, sur la base
du compromis franco-britannique de Saint-Malo), et qui nous a valu une
politique aussi éloignée que possible à la fois de ce qui pourrait être une «
défense » et de ce qui serait propre à l'Europe. La synthèse ne se fait que dans des
« ambiguïtés constructives », lesquelles finissent par détruire toute ambition
autre que l’abdication en cachette et le choix de la facilité. (Nicolas
Gros-Verheyde, La diplomatie européenne : un désastre programmé ? Ou
une déception…, www.bruxelles2.eu, 12 octobre 2013)
L’Europe
de la défense passe par une avant-garde. « Un jour viendra où les Européens, du moins un petit groupe
d'entre eux, décideront ensemble d'un budget commun affecté à certains aspects
de la politique de défense commune ». Enfin quelqu'un évoque une piste possible qui
serait autre chose que l'abdication pure et simple ou l'ambiguïté prétendument
constructive. Il s'agit évidemment de l'idée d'avant-garde (noyau dur, groupe pionnier). L'ancienne directrice de
l'Institut des Etudes de sécurité de l'UE a le mérite aussi de mettre les
pendules à l’heure au sujet de la Grande-Bretagne.
Dont elle dit que « C'est un
partenaire indispensable en matière de défense. C'est un partenaire impensable
en matière d'Europe. »
« La conclusion de cette contradiction s'impose
d'elle-même : la relation bilatérale franco-britannique est essentielle sur le
plan militaire, mais il n'est ni l'embryon, ni le moteur, ni surtout la
condition du succès de la défense européenne.Toutes les propositions de noyau
dur en matière de défense européenne, avec le Royaume-Uni, ne conduisent qu'à l'impasse. » C'est on ne peut plus exact. Dommage que la ligne
officielle de la France semble toujours avoir du mal à admettre ce constat.
Autres observations
de Mme Gnesotto, à la veille du Conseil européen de décembre (dédié à la
Défense): « Parler de la défense et
de la sécurité c'est en effet parler du rôle de l'Europe dans le monde et il
est plus que temps que le débat s'ouvre. Le dossier capacitaire et industriel est aussi important, car
l'industrie de défense concerne près de 900 000 emplois en Europe pour un
chiffre d'affaires de 96 milliards € : c'est donc un moteur de croissance
possible, une source d'innovation et d'excellence technologique, et un chantier
de coopération voire d'intégration européenne accrue. »
Sur une note
personnelle (et pour expliquer mon enthousiasme à la lecture du billet), ce
sont exactement les sujets que je traite dans un long papier à paraître très
prochainement dans The Federalist, sur la réatlantisation de la défense
européenne. Dans l'introduction, je note
que « la PSDC a tout le potentiel pour devenir une partie de la solution
aux difficultés actuelles de la construction européenne. Et une partie cruciale
même: à la fois psychologiquement et économiquement ». Sans surprise, j'en
conclue, une fois de plus, à la nécessité d'une avant-garde guidée par une
vision stratégique, prête à assumer à la fois la partie « défense »
et la partie « européenne » de la PSDC (www.thefederalist.eu, n°
2-3, 2013). (Entretiens d’Europe
n°75, Entretien avec Nicole Gnesotto, Fondation Robert Schuman, 30 septembre
2013)
European
strategy : is now the moment ? Lors de
la discussion sur l’opportunité (ou pas) d’une « grande stratégie européenne »,
Sven Biscop de l’Institut Egmont a conclu que « En fin de compte, tous les débats sur la stratégie européenne se
réduisent à la narrative traditionnelle UE
versus OTAN. Au lieu de cela, il serait utile de parler davantage sur ce
qu'il faut faire et comment. C'est une erreur de considérer que l'OTAN a une
stratégie tandis que l'UE n’en a pas. La réalité est que les Etats-Unis ont
effectivement une stratégie et des ressources alors que les Etats européens
Etats n’en ont pas (ou pas suffisamment). »
C’est vrai en
partie seulement. Le sempiternel appel
à laisser tomber les débats « théologiques », « institutionnels » etc. pour
s’occuper des questions pratiques n’est pas du tout anodin. Sans clarification
institutionnelle (pour cela, considérer que le principal trait distinctif de
l’OTAN est la participation US, c’est déjà un bon début), et sans un farouche
attachement à une délimitation nette entre l’OTAN et l’UE, c’est à la fois le «
que faire » et le « comment » qui sera décidé de l’autre côté de l’océan. L’absence
de stratégie de la part des Etats européens renvoie à ce flou, et le reste en
découle. (Myrto
Hatzigeorgopoulos, European strategy : is now the moment ?, ISIS
Europe blog, 2 octobre 2013)
Porte-avions
Hammond:
'Second UK carrier worth using' Un comble. Mettons de côté un instant toutes les incertitudes et
imperfections du programme des porte-avions UK. C’est tout de même hallucinant
de voir le ministre britannique parler de bon sens (la nécessité de deux porte-avions pour assurer une présence permanente
en mer), alors que la France y a renoncé pour des raisons budgétaires. Certes,
les porte-avions de Sa Majesté accusent un sacré retard, ont déjà englouti
toute une fortune, et une fois prêts on ne sait pas s’il y aura déjà/encore des
F-35 JSF à mettre dessus. Ce que l’on sait par contre, c’est que les futurs
joyaux de la Royal Navy sont déjà assignés à jouer les subalternes aux côtés de
l’Amérique. L’accord Integrated Aircraft
Carrier Cooperation, signé en janvier dernier, va « rapprocher les deux
marines plus que jamais », aux dires du Secrétaire à la défense des Etats-Unis.
(Hammond:
'Second UK carrier worth using', British Forces News, 2 octobre 2013)
Accord de libre-échange transatlantique
Nicole
Bricq : «Les États-Unis sont très protectionnistes». L'Amérique serait-elle
protectionniste? Veut-elle conclure un accord de libre-échange transatlantique
d'abord pour isoler la Chine? Les Français auraient-ils « un rapport
passionnel » avec les Etats-Unis qu'il vaudrait mieux garder à l'esprit
pour ne pas subir un raz de marée des « extrêmes » aux européennes en
juin prochain? Que ne vient-elle suggérer, la ministre française du commerce
extérieur, en parlant de l'éventuel accord
TTIP?
Bien entendu, elle
fait aussi les figures obligatoires. Telle la reprise des rengaines sur les
bienfaits quasi mécaniques d'un gigantesque marché transatlantique, la
proposition d'un « Buy Transatlantique Act », et la foi affichée dans
la possibilité de conclure avec les US un accord équitable. Quoique. L'exemple
australien est évoqué quand même, pour illustrer à quel point les Américains « sont redoutables quand il s'agit de
défendre leurs intérêts ». C'est tout à leur honneur, par ailleurs. On
attend simplement que les dirigeants européens fassent de même.
A ce propos, la
ministre lance une petite mise en garde à l'intention de la Commission, « pas
toujours encline à communiquer l'avancée des négociations », invitée à
plus de transparence pour l'occasion. Et une fausse question candide, de la
part de Nicole Bricq: « Comment se
fait-il que les États-Unis, qui sont très protectionnistes, passent pour un
pays libre-échangiste ? ». Oui, vraiment. On se le demande.
Finalement, Mme
Bricq admet que la position de négociation US est pour l'heure illisible, à
part sa visée géopolitique. Or -
assure la ministre – « je ne suis
pas sur ce registre ». Peut-être serait-il temps de tirer au clair ce
malentendu, ne serait-ce que pour éviter de signer un accord qui en cache un
autre, encore plus tordu. A travers
l'accord de libre-échange, c'est en effet « l'Occident » que l'on
réarrange pour le faire marcher au pas, dans la direction et au rythme dictés
par l'Amérique. (Nicole Bricq : «Les États-Unis sont très protectionnistes»,
interview avec la ministre du commerce extérieur, Le Figaro, 5 octobre 2013)
Forces spéciales
Remarques
de John Kerry sur l’action des forces spéciales. Suite aux deux opérations
des forces spéciales US en Somalie et en Libye, le Secrétaire d'Etat Kerry
promet que ça continuera le temps
qu'il faudra. Confirmation de plus qu'au même titre que les drones, les forces
spéciales sont devenues l'outil de prédilection de l'administration Obama.
Surtout, il s'agit
d'une démonstration de force au rabais, après les ratés sur le dossier syrien,
mais qui ne remplace ni les garanties de sécurité crédibles, ni les
contingents, ni les bases. Ni la légitimité que donne le respect (ou du moins
le souci d'éviter le bafouage ouvert et systématique) du droit international. (Kerry
Remarks at Benoa Port in Indonesia, US Department of State, 6 octobre 2013)
Opinion
publique en Europe
L'opinion
publique européenne : en finir avec le pessimisme ? L’analyse des récentes
enquêtes d’opinion semblerait indiquer un début (très relatif) de redressement du moral des citoyens en
Europe – mais au prix d’inégalités
croissantes entre riches et pauvres. « Lorsque la situation s'améliore
au niveau de la moyenne européenne, ce sont les pays les plus riches et les
catégories les plus aisées qui sont à l'origine de ces hausses ». Ce n’est
sûrement pas le moyen le plus approprié pour freiner l’aliénation du plus grand
nombre. Un billet de 2005 sur « L'Union et le peuple » : http://www.hajnalka-vincze.com/Publications/123
(L'opinion publique européenne : en finir avec le pessimisme ?, Question
d'Europe n°290, Fondation Robert Schuman, 7 octobre 2013)
Institution militaire, OTAN
Politico-military dynamics of
European crisis response. Le lancement du livre d’Alexander Mattelaer sur « Les
dynamiques politico-militaires de la réponse européenne aux crises » a donné
lieu à une petite conversation-débat. D’après le compte-rendu, l’auteur met en
évidence quelques problèmes inhérents à la conduite d’opérations militaires par
des organisations internationales, en premier lieu desquels la distance qui se creuse entre les militaires
et leurs gouvernements.
Ceux-ci
deviendraient de simples « sponsors stratégiques », et risquent de moins en
moins comprendre l’outil militaire qu’ils décident (ou pas) d’engager. De
l’autre côté, comme pour contrebalancer cette perte de contrôle, ils imposent
des contraintes opérationnelles (les fameux caveats), lesquels posent de
nombreuses difficultés pratiques aux troupes sur le terrain. Dans l’ensemble,
l’auteur constate une détérioration des relations entre politiques et
militaires ces dernières années, comme en témoignent les prises de paroles
critiques de plusieurs haut-gradés.
Jamie Shae,
l’inoxydable responsable de l’OTAN
(qui s’était fait remarqué lors de la campagne au Kosovo en 1999 en tant que le
porte-parole le plus ouvertement discrédité de l’Alliance), parle aujourd’hui
comme Secrétaire général adjoint en charge des défis de sécurité émergents. Il
nous conseille de ne pas nous laisser impressionner par la guerre en
Afghanistan, susceptible de nous faire croire que les interventions seraient
trop complexes et souvent sans succès.
Profitons plutôt de
cette expérience pour mettre le turbo sur les cadres multinationaux pour la
planification et les exercices (histoire de ne pas laisser périr le précieux
acquis). Et tournons maintenant vers des « interventions intelligentes », plus
prometteuses du point de vue du rapport coûts-bénéfices. Est-ce à dire que
l’approche « intelligente » signifie un changement pour l’Alliance ? (Nic
Watkins, Politico-military dynamics of European crisis response, ISIS Europe
blog, 9 octobre 2013)
Vols de la CIA, écoutes de la NSA
Programmes
de détention de la CIA: les députés veulent mettre fin à l'impunité. L'impunité est le mot
clé et, visiblement, les députés européens ont du mal à la digérer.
Ils remettent à l'ordre du jour le scandale autour des dénommés « vols de torture » de la CIA. Ces avions US qui, au milieu des années 2000,
traversaient l'Europe sans être inquiétés, avec à bord des suspects jamais
jugés mais transférés dans des pays très peu regardants sur la manière à obtenir
les informations désirées. L’affaire est un formidable rappel pour nos
dirigeants européens : à force de fermer les yeux ou de se chercher des
excuses, nous pourrions facilement nous retrouver complices dans la mise à mal
assumée de nos valeurs, de même que dans la fuite en avant vers notre propre
discrédit.
A noter le lien que
font les députés européens entre l’impunité dans l’affaire des vols (et des
centres de détention secrets) de la CIA, et les programmes de surveillance récemment révélés par l’affaire
Snowden/NSA. « Le climat d'impunité
autour de l'implication des États membres dans les programmes de la CIA a rendu
possible les atteintes aux droits fondamentaux, comme le confirment les
programmes de surveillance de masse conduits par les États-Unis et quelques
États membres ». (Programmes de détention de la CIA: les députés veulent
mettre fin à l'impunité, Communiqué de presse du Parlement européen, 10 octobre
2013)
L’Euro, la crise
La remise en cause de
l’ordre monétaire mondial. Jacques Sapir revient sur les débuts de l’Euro
pour dissiper l'illusion qui voulait voir en la monnaie unique un éventuel
contrepoint au Dollar; montre comment les des deux monnaies sont liées; et
prévoit le nécessaire éclatement de la
'zone Euro', avant l'effondrement du Dollar. Petit retour en
arrière : « Dans la période qui précède
immédiatement l’introduction de l’Euro comme monnaie scripturale, soit de 1995
à 1999, la part du Dollar augmente
fortement. Elle le fait en partie contre le Deutsch Mark et le Franc Français mais surtout contre le groupe des ‘autres
monnaies’. L’introduction de l’Euro ne s’est pas faite en réalité contre le
Dollar mais contre les ‘autres monnaies’. »
« L’introduction de l’Euro a transformé ce qui était un oligopole en un duopole. Par la suite, la part du Dollar va se réduire, et celle de l’Euro augmenter, mais le Dollar conserve une importance plus grande dans les réserves qu’avant la création de l’Euro. Un fait qui gêne beaucoup tous ceux qui présentent l’Euro comme un concurrent du Dollar. À la suite de la crise financière, on constate que le Dollar et l’Euro ont vu leurs parts diminuer, et cette fois-ci au profit des autres monnaies.»
D’où aussi ce
constat : « l’Euro n’est pas une
alternative au Dollar, mais en réalité une béquille de ce dernier ». « L’Euro,
qui est rattaché à une pseudo-entité (la ‘zone Euro’) qui est soit exportatrice
soit à l’équilibre et qui est soumis à une politique restrictive de la part de
la Banque Centrale Européenne n’avait pas l’ombre d’une chance de remplacer le
Dollar (USD).» La crise de
confiance par rapport aux Etats-Unis ne profite pas à l’Euro, « car la ‘zone Euro’ n’existe pas du point
de vue d’un acteur extérieur. L’Euro n’est, en réalité, qu’un arrangement
technique entre pays dont les politiques restent différentes et parfois
divergentes. La crise à propos de la Syrie l’a bien montré qui a vu l’Union
Européenne et les pays de la zone Euro incapables de définir une position
commune. »
« La crise de l’Euro se présente d’ailleurs comme la
première phase d’une crise du Dollar car il est clair que le jour où la zone
Euro explosera le Dollar se trouvera directement exposé à la spéculation
internationale. (…)Le monde a trop longtemps vécu sous la coupe du Dollar.
Pourtant, il faudra nécessairement en passer par l’éclatement de la zone Euro
comme prémisse de l’effondrement du Dollar. » (Jacques Sapir : La remise en cause de l’ordre
monétaire mondial, RIA Novosti, 8 octobre 2013)
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