Espionnage NSA en Europe
1. Bonjour l’embarras.
Qu’il existe une
coopération en matière de renseignement avec les uns et les autres, c’est
normal. Par contre, s’y engager en position de sous-traitant pour le club d’élite anglo-saxon Five Eyes (UK, USA,
Canada, Australie, Nouvelle-Zélande), c’est déjà plus gênant. Surtout que c’est
dans ce cadre que les informations faisant perdre des marchés de plusieurs
milliards aux fleurons de notre industrie se transmettent régulièrement vers
les Etats-Unis.
Mais la cerise sur
le gâteau, c’est quand même de se voir ensuite traité publiquement comme un
vulgaire adversaire que les Américains espionnent à grande échelle. Et d’être
obligé d’aller quémander à Washington
pour qu'ils veuillent bien « nous fournir
ce que la presse a déjà », aux dires du chef de l’Etat. C’est
insurpassable. Finalement, essayons juste une seconde d’additionner tous ces
éléments du point de vue d’un tiers (Russie, Chine, Brésil, Inde, au choix). L’image
n’est pas flatteuse, loin de là.
(Surveillance: la
France transférerait des données aux USA, RIA Novosti, 27 octobre 2013)
2. D’autres festivités en perspective. Pour le président
Hollande : « C’est un sujet qui ne va
pas cesser d’interpeller car nous savons qu’il y aura d’autres révélations ».
Amen. A part cela, l’autisme politique
est à son paroxysme. Confiance ébranlée ? Vite, allons « provoquer une discussion avec les Américains pour établir un cadre
commun de coopération et de clarification », y compris l’établissement de «
règles de conduite pour l’avenir ». Sérieusement ? Comme si les documents
publiés dans la presse ne venaient pas de démontrer justement que les
Américains ne viennent à la table de négociations que pour endormir
l’audience. Ce qui, accessoirement, permet aussi aux dirigeants européens de se
donner bonne conscience.
(Conférence de
presse à l'occasion du Conseil européen à Bruxelles, 25 octobre 2013)
3. NSA
: les eurodéputés préconisent la suspension d'un accord avec Washington sur les
données bancaires. Dans ce cas précis, le plus intéressant c'est la courte
majorité à laquelle la résolution (non contraignante) a été votée. Rappelons
que, pour l’UE, la violation de l’accord
SWIFT par l’Amérique est l’une des révélations les plus explosives des
documents ébruités dans l’affaire Snowden/PRISM. Lesquels exposaient clairement
que l’accord conclu avec l'Amérique ne fut qu'un marché de dupe.
Pendant des années, l’Europe avait demandé en vain que les transferts des données bancaires, imposés par les Etats-Unis à la société SWIFT au lendemain du 11 septembre 2001, s’effectuent dans un cadre légal. Les US ne s’y sont résignés qu’après l’installation, en 2009, d’un centre en Suisse qui permettait de conserver en Europe toutes les données bancaires européennes (sans les stocker mécaniquement sur un serveur jumeau situé aux USA). D’où les négociations et, finalement, l’accord d’août 2010.
Il s’agit d’un compromis accouché après des débats longs et houleux, un premier rejet par le Parlement européen, puis une renégociation douloureuse. Finalement, l’accord prévoyait de nombreux garde-fou, dont un « observateur indépendant » envoyé par l’UE pour superviser que les services US accèdent aux informations du réseau SWIFT uniquement s’il y a suspicion de transfert d’argent à des fins terroristes. C’était trop beau pour être vrai. Et ça ne l’était pas, en fait.
Des documents NSA datés de 2011 désignent toujours le réseau informatique bancaire domicilié en Belgique clairement parmi les cibles. Pour les US, l’accord n’était en réalité qu’une diversion, ils avaient accès à tout ce qui les intéressait, de toute façon. Ce qui remet sérieusement en cause la fiabilité de l’interlocuteur US pour n’importe quels accords et négociations à l’avenir.
De surcroît, les révélations Snowden/PRISM font également état de la très étroite collaboration entre le programme de surveillance /d'espionnage et le Département du Trésor américain. Dont la première tâche n’est pas tant la chasse aux terroristes que de « promouvoir la croissance économique et les investissements » aux Etats-Unis.
(NSA : les eurodéputés préconisent la suspension d'un accord avec Washington sur les données bancaires, Le Monde, 23 octobre 2013)
4. Espionnage
américain: un choc et un test pour les Européens. On imagine surtout le
malaise du Premier ministre britannique au sommet de l’UE… Sans doute jamais
auparavant son rôle de cheval de Troie
des Etats-Unis en Europe n’a été aussi publiquement exposé au grand jour.
N’oublions pas qu’en tant que membre des « Cinq yeux » (communauté de
renseignement Etats-Unis, UK, Canada, Australie, Nouvelle-Zélande), Londres est
intimement associé aux activités des services US. Contre ses partenaires européens
notamment. Lesquels auront du mal, après les dernières révélations (sur le
portable de Mme Merkel par exemple), à ne pas le prendre personnellement.
(Espionnage
américain: un choc et un test pour les Européens, AFP, 24 octobre 2013)
5. Comment
la NSA espionne la France. « Tonton » l’avait pourtant dit, il y a près de
vingt ans : « La France ne le sait pas,
mais nous sommes en guerre avec l’Amérique. Oui, une guerre permanente, une
guerre vitale, une guerre économique, une guerre sans mort apparemment. Oui,
ils sont très durs les Américains, ils sont voraces, ils veulent un pouvoir
sans partage sur le monde. C'est une guerre inconnue, une guerre permanente,
sans mort apparemment et pourtant une guerre à mort. » (François
Mitterrand, 1995)
« Les documents donnent suffisamment d'explications
pour penser que les cibles de la NSA concernent aussi bien des personnes suspectées
de liens avec des activités terroristes que des individus visés pour leur
simple appartenance au monde des affaires, de la politique ou à
l'administration française ».
(Comment la NSA espionne la France, Le Monde, 21 octobre 20013)
Royaume-Uni
Audition
du chef d’état-major des armées britannique. Le général Sir Nick Houghton
semble particulièrement morose quand il admet que l’Iraq et l’Afghanistan
avaient fait beaucoup de tort au lien
armée-nation. « Les objectifs au
service desquels nous avons été engagés récemment sont peut-être remis en cause
plus que jamais auparavant. Dans ce contexte, j'ai parfois l'impression que
l’on compatit avec nous plus que l’on ne nous comprend. J'ai parfois
l'impression que nous sommes l'objet de la charité de notre nation, plutôt que
celui de sa compréhension profonde et bienveillante de ce que sont les forces
armées et quelle est leur pertinence ».
(Uncorrected evidence before the House of
Commons Defence Committee, General Sir Nick Houghton, Chief of the Defence
Staff, Ministry of Defence, 16 octobre 2013)
Drones
Assassinats
américains par drones au Pakistan : le rapport accablant d'Amnesty
International. L’Amérique fait la guerre par joystick interposé.
Qu’importent les dégâts tant que ça se passe au fin fond du monde, loin des
caméras, et que les scores sont plutôt bons. Insistons sur le fait qu’il ne
s’agit plus de « simples » dommages collatéraux. C’est tout le système opaque (de choix des cibles,
d’autorisation de tir) tel qu’il est organisé qui produit presque
inévitablement la mort des civils.
Pour une chose, les
frappes sur base de « signature »
(groupes de gens affichant des caractéristiques qui pourraient être liées à des
activités terroristes mais dont les noms ne sont pas connus) semblent avoir
pris le dessus sur les frappes sur base de « personnalité » (individu dont le
nom est connu et dont on prétend penser qu’il pose « une menace imminente » à
l’Amérique).
De même, le
contraste entre les estimations
officielles du nombre des victimes civiles et les chiffres avancés par les
analyses indépendantes s’expliquerait en partie par une méthode de calcul bien
particulier à la CIA. Celle-ci fonctionne sur la base de la « culpabilité par
association ». C’est-à-dire qu’à moins de prouver à titre posthume leur
innocence, toutes les victimes mâles en âge de porter des armes, qui se
trouveraient dans une zone de frappe, sont considérés comme des combattants. Ce
qui re-pose la question du choix des cibles…
Pour plus de détails, voir : Jaclyn Tandler, Known and Unknowns : President Obama’s Lethal Drone Doctrine (Fondation pour la Recherche stratégique, note n°O7/13, avril 2013)
A y ajouter ce
papier sur la nécessité d'une position européenne en la matière, histoire de ne
pas laisser la pratique US établir un précédent que l'on finira tous par
regretter.
Anthony Dworkin, Drones and Targeted
Killing: Defining a European Position (European Council on Foreign
Relations, Policy Brief n°84, juillet 2013)
OTAN
A la
réunion ministérielle de l’OTAN, Berlin se fait la courroie de transmission
de l’Amérique. En proposant son Concept de nation-cadre, au fond le ministre allemand de la
défense ne fait qu’estampiller un projet élaboré dès l’été 2011 par l’américain
National Defense University. Présentée aux responsables US et OTAN par la suite,
l’initiative fut articulée autour du concept de Mission Focus Groups (MFGs). Manifestement, les deux se ressemblent comme deux gouttes d’eau. D’après M. Rasmussen, dans le projet allemand il s’agit de
l’organisation des alliés en plusieurs groupes, chacun focalisé sur telle ou
telle compétence, dans le cadre de la fameuse Défense intelligente. Surprise, surprise: c’était justement l’idée des concepteurs US du projet MFG.
Surtout, l’initiative allemande risque de permettre à l’OTAN de griller la politesse à
l’UE dans un domaine essentiel pour l’avenir de la défense européenne. Au fait,
aujourd’hui il y a pratiquement unanimité pour admettre que la PSDC (politique
de défense et de sécurité de l’UE) ne pourra avancer qu’en adoptant la logique
des « groupes pionniers ».
Toutefois, dans le cadre de l’UE, ce constat ne s’est toujours pas traduit dans
les actes, comme en témoigne entre autres la non-activation de la dénommée « coopération
structurée permanente ». Si l’Alliance s’y lance avant l’Union, cela signifierait que la
seule matrice d’organisation viable pour la défense européenne se développerait sous l’égide de l’OTAN.
(Doorstep
Statement by the NATO Secretary General, Anders Fogh Rasmussen, 22 octobre
2013)
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