Inutile de revenir
sur l’empressement
grotesque des dirigeants européens à reprendre les négociations de
libre-échange transatlantique malgré leurs déceptions
et humiliations
récentes. Par
contre, il convient de s’attarder un moment à l’audition
de Sir Leon Brittan (le « père » des tentatives d’accord précédentes), portant sur les chances de conclure la dernière version, appelée TTIP ou partenariat transatlantique de commerce et d'investissement. En effet, Sir Leon semble
plutôt sceptique, et il ne se prive pas du plaisir de faire quelques remarques
acerbes. Venant de lui, véritable tête d’affiche de ce type de projets par le
passé, cela mérite que l’on y regarde de plus près.
Certes, l’approche de M. Brittan est libérale-atlantiste*, et son soutien aux négociations vient on dirait
mécaniquement, dès lors qu’il s’agit de renforcements des liens avec l’Amérique et d’élargissement
des « opportunités de marché ».
C’est tout de même le moins que l’on puisse attendre de celui qui avait été
jadis le Commissionnaire européen à l’origine des initiatives successives en vue d’instaurer
« un grand marché transatlantique ». Ou encore de la part de celui qui fut
engagé par l’actuel gouvernement britannique pour étudier les moyens de faire disparaître les obstacles restants
à la liberté du commerce, pour la coquette somme de 500£ par jour. Mais pour ce
qui est du TTIP proprement dit, on a l’impression que le cœur n’y est pas,
malgré tout.
**Ces « independent regulatory agencies » (au
nombre de 20) bénéficient d'un statut spécifique au sein de l’administration/bureaucratie
US. Leurs patrons ne peuvent pas être renvoyés par la simple volonté du
Président des Etats-Unis et elles ne sont pas non plus tenues à se conformer
aux décrets présidentiels. D’après Brittan, « ces agences régulatrices
sont profondément respectées et considérées comme les gardiens de l’économie
américaine »
A la question de
savoir quels sont les avantages économiques à en tirer pour le Royaume-Uni et,
inversement, les pertes à prévoir en cas d’échec, la réponse de M. Brittan est
tout sauf convaincante. Au fait, sans dire un mot sur les bénéfices concrets,
il se contente de remarquer que si les négociations tombent à l’eau, Londres ne
perdrait rien, c’est juste qu’il n’engrangerait pas les soi-disant bénéfices qu’il
avait esquivé de détailler dans sa phrase précédente. Comme plaidoyer, on a déjà
vu plus percutant.
A part cela, son
choix des mots est plutôt intéressant quand il voit le Royaume-Uni devenir « le cheerleader le plus enthousiaste »
de l’accord TTIP. Ou quand il admet que les difficultés macroéconomiques sont en
réalité une condition propice aux négociations, avec des dirigeants pressés
de montrer que « nous pouvons au
moins faire quelque chose ». Ou lorsqu’il dit qu’en l’absence d’un
accord global dans le cadre de l’OMC, la question est de savoir si le TTIP est une
démarche « acceptable »
ou s’il est carrément « indésirable ».
Car en ce qui concerne l’éventuel impact négatif sur le commerce de l’Europe avec
le reste du monde, Sir Leon « ne
peut pas dire que le risque n’existe pas ». De surcroît, en se fiant
uniquement au « désir de l’Union
européenne » pour négocier un accord qui puisse, peut-être, éviter de
telles conséquences néfastes, il suggère que la position américaine va dans l’autre
sens.
En plus de ces
réserves, les propos de l’ancien vice-président de la Commission nous offrent également
des indications/confirmations précieuses sur deux sujets. La technique de
négociation US d’une part, et les comportements au sein du troupeau UE de l’autre.
Premièrement, M. Brittan n’identifie qu’un seul obstacle réel sur lequel auraient
buté les tentatives précédentes d’accord de libre-échange UE-US, et c’est l’opposition
des agences régulatrices américaines**. Une fois de plus, nous aurions donc été
sauvés malgré nous-mêmes.
A l’instar de ces entreprises
d’armement européennes qui seraient déjà devenues de facto
américaines si les régulations US draconiennes ne ralentissaient pas leur élan
d’incorporation volontaire, l’Europe se précipiterait elle-même à devenir une
sorte de Puerto Rico à dimension continentale (soumis aux décisions prises à
Washington, mais sans droit de vote aux élections US), si cela ne tenait qu’à
elle. Un grand merci donc, encore une fois, au protectionnisme
américain.
Plus généralement, Sir
Leon se rappelle que les réticences des autorités régulatrices américaines,
tout comme celle des Etats de l’Union sont régulièrement évoquées par la partie
US. Il s’agit là, en effet, d’une constante de la méthode de négociation américaine. Si
les difficultés d’harmonisation interne (agences, Etats, Congrès) dans les
méandres de la bureaucratie US sont bien réelles, elles servent aussi de
justification commode pour se montrer intraitable sur tel ou tel sujet. Tout en
affichant la bonne volonté de l’administration, ces « contraintes »
internes permettent d’exiger de la part de l’interlocuteur des concessions
extrêmes.
Finalement, une
petite remarque de M. Brittan sur l’attitude de certains pays en Europe du Sud peut,
par extension, s’appliquer à l’UE dans son ensemble. Ces pays « de façon assez intéressante, attachent une importance politique
énorme à leurs liens avec les Etats-Unis » et pourraient se retrouver en
porte-à-faux entre leurs propres intérêts économiques et « leur enthousiasme politique ». C’est exactement de cela
qu’il s’agit. La motivation profonde des Européens derrière le TTIP est de
consolider la relation transatlantique. Car de l’aveu même
de l’ambassadeur US en Allemagne, le futur accord a vocation de devenir « la fondation d’un nouveau cadre
stratégique ». D’où aussi l’activisme du
Secrétaire général de l’Alliance atlantique, qui s’extasie devant la
perspective de cette « OTAN économique ».
*Avant de devenir l’un des relais les
plus influents des intérêts britanniques à Bruxelles pendant 11 ans en sa qualité
de Commissaire européen, M. Leon Brittan s’était illustré au cours d'un fameux scandale politique au Royaume-Uni, dit l’affaire Westland. Ministre du
Commerce et de l’Industrie à l’époque, il s’est notamment prononcé en faveur de
la reprise par une firme américaine du dernier fabriquant d’hélicoptères
britannique, contre l’avis du ministre de la Défense Heseltine qui prôna, lui,
une approche européenne. Rien de plus normal donc que de voir Leon Brittan
réapparaître peu après sous les habits de Commissaire européen…
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