A contre-pied de l’idée
initiale et suite à une régression
spectaculaire, la politique de défense de l’UE (PSDC) entre aujourd’hui
dans une nouvelle phase où elle doit lutter pour sa survie même. En effet, des voix
de plus en plus nombreuses se demandent si elle ne ferait pas mieux de se
fondre dans l’OTAN, d’autant que les deux font parties du même « Occident ».
A bas la défense européenne ?
Qu’un ancien
ministre de la défense de la Bulgarie puisse aller jusqu’à affirmer lors d’une
conférence « qu’il est temps de
cesser de nous fatiguer avec la PSDC, et de mettre plutôt tous nos œufs dans le
panier OTAN », est tout de même révélateur d’une certaine ambiance. Hormis
le style particulier du ministre Boyko Noëv (ses mots exacts pour « cesser de nous fatiguer » étaient
« cut the cr… »), la même
idée revient chez de nombreux experts. Dès 2011, Jan Techau, directeur allemand
de Carnegie Europe, avait signé un papier intitulé « Oublions la PSDC, le temps est venu pour le Plan B ».
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(crédit: Délégation de l'Union européenne aux Etats-Unis) |
Sans surprise, ce
fameux Plan B n’est autre que loyauté inconditionnelle vis-à-vis des
Etats-Unis. Pour Jan Techau : « L’Europe
doit arrêter de construire le village Potemkine nommé PSDC, quand elle peut
obtenir tout ce dont elle a vraiment besoin tout simplement en échange d’une intense
sollicitude portée au lien transatlantique ». Les Européens devraient
juste abandonner leurs « stratégies
futiles d’indépendance et de contrepoids », et admettre que, « en fin de compte, ce sont toujours les
Américains qui garantiront la sécurité de l’Europe ». Une vision partagée par beaucoup, hélas.
Pourquoi pas une OTANUE ?
Pour savoir comment institutionnaliser cette approche explicitement subordonnée, tournons-nous vers le
ministre letton de la défense, qui considère les relations UE-OTAN comme un « désagrément ». La solution
est toute simple : « en fait, il
faudrait fusionner les deux organisations », déclara-t-il à la
conférence de Riga en 2012. Pour un
ministre balte, c’est normal, serait-on tenté de dire. Mais même un Jolyon
Howorth, l'un des meilleurs spécialistes de l’Europe de la défense, connu jadis
pour ses préférences clairement « autonomistes », avait décidé de
changer son fusil d’épaule ces jours-ci.
Dès l’an dernier, M.
Howorth a épousé l’idée selon laquelle « il
faut que se produise progressivement une fusion institutionnelle et politique
entre la PSDC et l’OTAN ». Cette année, il revient avec des détails
élaborés : « Le Commandement
allié Opérations/SHAPE devrait se fondre dans la PSDC » (inutile
de préciser qu’entre le SHAPE d’un effectif de 13 000 d’un côté et l’Etat-major
de l’UE avec ses 350 hommes de l’autre, ce serait plutôt dans l’autre sens).
Pour M. Howorth, une
« entité robuste PSDC/OTAN devrait
être mise en place » et les enceintes de décision politique des deux
institutions devraient suivre ce mouvement de fusion. Hourra ! L’Amérique
pourrait donc venir enfin directement à la table de l’UE et s’asseoir aux côtés
de ses (nombreux) porte-paroles européens. En tant que maître de maison, bien
évidemment.
Le tout devrait s’accompagner d’une « fusion entre l’Agence européenne de défense et l’ACT » (Commandement allié Transformation). Que la première soit censée aider à pérenniser la base industrielle et technologique de défense européenne et que le second soit essentiellement la courroie de transmission des intérêts industriels américains n’est qu’un petit détail sans importance, visiblement.
Le tout devrait s’accompagner d’une « fusion entre l’Agence européenne de défense et l’ACT » (Commandement allié Transformation). Que la première soit censée aider à pérenniser la base industrielle et technologique de défense européenne et que le second soit essentiellement la courroie de transmission des intérêts industriels américains n’est qu’un petit détail sans importance, visiblement.
La redécouverte de « l’Occident »
Idéologiquement, c'est le courant de pensée occidentaliste qui sert de toile de fond pour les
projets de fusion. Il a été récemment célébré en grande pompe à
la conférence de Riga en septembre dernier. Où Jan Techau (le directeur susmentionné
de Carnegie Europe) nous expliquait que si l’Europe voulait devenir un jour un
véritable partenaire de l’Amérique, il nous faudrait admettre que « les Américains et nous, nous sommes là
tous ensemble. Nous devons nous rassembler, parce que nous sommes l’Occident ».
Pour relever les défis du 21ème siècle, nous devrions donc cultiver
notre sens de cette appartenance à la soi-disant communauté occidentale.
Le fait est que même
des analystes a priori sceptiques semblent de plus en plus tentés par cette
approche. Hubert Védrine, ancien ministre des Affaires étrangères, n’avait pas hésité à tirer les sonnettes d’alarmes dans son rapport de 2007 au président
Sarkozy, contre ce qu’il nomma alors la « tentation
occidentaliste ». Il y démonta les habituels stéréotypes sur les « valeurs communes » et sur la
cohérence « occidentale »
(les guillemets étaient les siens, à l’époque). Mais le même Védrine emploie,
dans un récent billet, le mot « occident » à pas moins de six
reprises. Et sans guillemets cette fois-ci.
Dans le foisonnement récent des ouvrages sur le thème de la nécessaire unité occidentale, prenons juste un seul autre exemple, celui de Charles A. Kupchan.
Cet ancien directeur pour les affaires européennes dans le Conseil de sécurité
nationale du président Clinton faisait le constat, en 2006, que « les intérêts américains et européens ont
divergé, la coopération institutionnalisée ne peut plus être tenue pour
acquise, et l’identité occidentale s’est affaiblie ». Le même Kupchan donne
aujourd’hui « L’Occident et la montée du
reste » comme titre à son dernier livre.
Les idées parallèles
qui sont la réaffirmation de l’Occident et la fusion PSDC-OTAN signifieraient
un retour de la défense européenne à sa phase d’avant-PSDC. Où elle se
retrouverait de nouveau dans les cadres de l’Alliance, mais, cette fois-ci,
sans même la possibilité de devenir un jour indépendante. Puisque
son retour serait l’aveu même que cette voie aura déjà été essayée, et
abandonnée car jugée sans lendemain.
(Sur la base du
papier: Hajnalka Vincze, Pente glissante: vers la réatlantisation de la
défense européenne, The Federalist n°2-3, 2013)
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