Avec le Gripen, le
Brésil se résigne à acheter américain, par la petite porte. Peut-être aussi
parce qu’il estime ne pas avoir d’autre option, en fin du compte ? Pour rappel, près d'un cinquième des composants de l’avion suédois proviennent des Etats-Unis. Ce qui fut clairement
un argument de vente en Europe centrale, dans des pays notoirement
pro-américains. Ainsi s’y soulignait-on avoir choisi un appareil dont la
turbine est à 60% fabriqué par General Electric, dans l'espoir d’atténuer
l’offense faite à l’allié US qui avait employé les grands moyens pour vendre ses
F-16.
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(crédit: www.saabgroup.com) |
Par ailleurs, un
épisode édifiant, révélé par les fameux câbles Wikileaks, nous éclaire sur les
dessous pervers de cette vulnérabilité. Au moment du renouvellement de
la flotte aérienne de la Norvège en 2008, le Gripen se trouvait en compétition
avec l’américain F-35 Joint Strike Fighter. Le ministre suédois, soucieux d'obtenir la licence d’un système de radar américain pour l’avion, explique donc à l’ambassadeur US à quel point l’industrie américaine profiterait aussi, du fait des
nombreux composants en provenance des Etats-Unis, du choix du Gripen par son
voisin nordique. Mais rien n’y fait. Sur conseil dudit ambassadeur, Washington
fait traîner sa réponse jusqu’après la décision de la Norvège. Inutile de dire
que celle-ci fut en faveur du JSF.
Au Brésil, pour des
raisons qui sont bien connues, le choix d’un avion US aurait été
politiquement très compliquée. Normalement, dans ces cas, l’industrie française est
en bonne position pour faire valoir la carte de l’indépendance nationale. Rien
d’étonnant donc à ce que la première réaction du constructeur français, après l’annonce
de l’échec du Rafale au Brésil, fut de préciser (un œil sur les potentiels futurs
acheteurs) que « Nous regrettons que
le choix se porte sur le Gripen, doté de nombreux équipements d’origine tierce,
notamment américaine ». C’est une pique envoyée pile où ça fait mal.
En même temps qu’elle met en avant la principale valeur ajoutée du Rafale.
Sauf que, en plus
de l’origine des composants (essentielle sans l’ombre d’un doute), d’autres
facteurs entrent en ligne de compte. Si le pays acheteur veut s’assurer que sa
souveraineté sera respectée en toutes circonstances, et la sécurité de l’approvisionnement
assurée à tout moment, elle veut avoir la certitude que celui qui s’apprête à lui vendre des appareils est lui-même
indépendant à 100%. Et l’Etat et l’industriel doivent être perçus comme
imperméables face à des pressions venues d’un Tiers. Cette
exigence a tendance à jouer en faveur des exportations françaises.
Traditionnellement.
En effet, il est à
craindre que la perception à la fois d’une américanisation de l’industrie d’armement
européenne, et d'une atlantisation de la politique étrangère de la France n’y
apporte, à terme, des changements. Du côté industriel, EADS, qui détient 46% du
capital du groupe Dassault Aviation, poursuit ouvertement une politique d’américanisation.
Une ligne qui précède largement les efforts déployés
en ce sens par son président, l'allemand Tom Enders, ces dernières années.
Dès 2005, lorsqu’il
était question d’une éventuelle levée de l’embargo européen sur les armes à
destination de la Chine, le coprésident allemand d’EADS montra ses vraies
couleurs. Pour M. Hertrich, « Même si l’UE
décide de lever l’embargo, en tant qu’entreprise nous devrons suivre notre
propre politique. Nous sommes très conscients de nos intérêts. Et nous sommes
fermement décidés à nous établir sur le marché de défense américain, le plus
grand au monde. Les menaces américaines de cesser tous les transferts et
exportations de technologies vers l’Europe montrent clairement que nous devons
tenir compte des Etats-Unis (...).
Nous sommes vulnérables et dépendants ». En voilà un aveu qui risque d'annuler l'argument de vente habituel de la France.
Du côté de l’Etat
français, la ligne politique traditionnelle semble quelque peu brouillée ces
derniers temps. Que l’on pense au plein retour dans l’OTAN
ou de la position de
la France sur le dossier syrien, le moins que l’on puisse dire, c’est que
le message n’est plus tout à fait clair. Pour Dominique de Villepin la
réintégration « banalise le rôle de
la France, la situant clairement dans les bataillons de l’OTAN ». Le « mauvais signal »
d’alignement qu’une telle décision envoie entraînera forcément un « rétrécissement » de la marge de manœuvre de la France.
Sur la Syrie, la diplomatie française s’est positionnée bras dessus dessous avec l’administration Obama (avant d’être lâchée par celle-ci sans aucun ménagement). Pour mémoire, au sommet des G20 à Saint-Pétersbourg, Paris se retrouvait ainsi en auxiliaire des USA et en opposition frontale avec les BRICS (B comme Brésil...). Lesquels s’en tenaient, eux, à la ligne traditionnelle française quant au rôle à jouer par le Conseil de sécurité des Nations unies.
Bien entendu, cela
ne veut pas dire qu’il faille façonner la politique étrangère de la France en
fonction des perspectives d’exportation de l’industrie d’armement. Ni que celle-ci perdra forcément tous ses débouchés à l’export (du moins pas avant la montée en puissance des
producteurs « émergents »). En revanche, pour ce qui est de l’avenir,
il ne serait peut-être pas inutile de méditer sur le lien entre nos
équipements militaires en tant qu’option indépendante fiable aux yeux des autres,
et notre indépendance tout court.
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