La PSDC (politique
de sécurité et de défense commune de l’UE) fut programmée par les traités
européens eux-mêmes pour aller, avec le temps, au-delà des restrictions qui lui
étaient imposées sous prétexte de complémentarité avec l’OTAN. Le moins que
l’on puisse dire, c’est qu’elle reste largement en-deçà des attentes.
Une PSDC bien maigrichonne
Après une phase
initiale particulièrement dynamique pendant laquelle (1) toute l’architecture
institutionnelle s’est mise en place à une vitesse fulgurante (avec néanmoins
un chaînon crucial qui manque) ; (2) les premières opérations ont été
lancées (y compris un véritable « coup d’Etat » lorsque la France
réussit à faire passer l’opération militaire Artémis au Congo sous drapeau UE, sans recours à
la coopération/subordination OTAN) ; et (3) la présence d’uniformes dans
les couloirs de l’UE est brusquement devenue monnaie courante ; la PSDC
semble néanmoins avoir atteint une sorte de plateau aux alentours de 2005. La
mécanique s’est grippée, et les tabous qui auraient dû disparaître dans la
foulée, n’ont finalement pas pu être levés.
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Le Secrétaire général de l'OTAN et la Haute représentante de l'UE |
Il suffit de
regarder les opérations militaires récentes de la PSDC pour se rendre compte du
décalage entre les ambitions initiales et le bilan. Petit rappel : d’après «
l’objectif global » fixé à Helsinki par les Etats membres en 1999, l’UE aurait
dû être en mesure, dès 2003 de gérer toute une gamme d’opérations, y compris « les
plus exigeantes » missions de forces de combat. Avec un déploiement « pouvant
aller jusqu'au niveau d'un corps d'armée (jusqu'à 15 brigades, soit 50 000 à 60
000 hommes). » Dix ans après la date butoir, on se félicite chaudement
de pouvoir envoyer quelques centaines d’hommes pour des « missions
d’entraînement ».
En effet, les opérations
militaires de l’UE (de moins en moins nombreuses) sont d’emblée des missions à
bas risque, limitées et dans leur ambition et dans leur portée. De plus, elles
ne s’inscrivent dans aucun cadre politique cohérent, ce qui les fait paraître
comme de simples improvisations au gré du moment. Sans parler du message
véhiculé par la série d’occasions ratées : au Liban en 2006, au Libye en 2011
et plus récemment au Mali. Dans ces crises, pourtant « taillées sur mesure »
pour la PSDC, l’Union ne brillait que par son absence.
Dans le même temps,
les Etats membres ont été incapables de mettre au point des règles de
financement qui puissent faire autre chose que de pénaliser ceux qui consentent
à des déploiements (avec le mécanisme de financement commun Athena, 90% des
dépenses se font selon le principe « les coûts incombent à leurs auteurs »).
En d’autres mots, c’est la double peine. Ceux qui envoient leurs troupes
(formées, entraînées, équipées) sur le terrain, sont les mêmes qui prennent en
charge quasiment tous les frais. Un système plus que souhaitable à l’OTAN où la
mobilisation se fait par serment d’allégeance, mais qui a, dans l’Union
européenne, un effet paralysant.
Jusqu’ici, l’UE n’a
pas mieux réussi avec ses groupements tactiques (GT) non plus. Le système,
lancé en 2004, prévoit une rotation semestrielle avec deux groupements
(d’environ 1500 hommes) en alerte à tout moment pour répondre aux crises. Mais
il devient de plus en plus creux (tout au long de 2013, par exemple, il n’y a
qu’un seul groupement en permanence), sans parler du fait que, depuis bientôt
dix ans, aucun GT n’a jamais été déployé sur le terrain.
Pour ce qui de
l’armement, les Britanniques continuent à mettre leur veto à l’augmentation du
budget de l’Agence européenne de défense. Par ailleurs, depuis le projet A400M
en 2003 aucun programme majeur d’équipement n’a été lancé en coopération européenne.
Le Centre satellitaire de l’UE ne dispose toujours pas de moyens qui lui soient
assignés, c’est donc sur le marché commercial qu’il doit se procurer d’images
satellitaires – ce qui fait qu’il est dépendant à 80-90% de fournisseurs
américains. De son côté, le Centre d’analyse et de renseignement de l’Union a
besoin de deux mois pour répondre à une commande.
De toute manière, la
PSDC n’est pas près d’aller au-delà de son rôle de simple « pourvoyeur de
sécurité », puisque la défense collective reste fermement exclue de ses
compétences. Quoique présente dans les traités européens comme éventuel
objectif ultime, son idée même risque de s’éclipser dans la pratique. La fin de
l’UEO (Union de l’Europe occidentale) en 2011, ce fut aussi celle du seul
engagement ferme entre Européens en matière de défense collective. Si le Traité
de Lisbonne de l’UE donne l’impression de prendre le relais dans ce domaine, en
réalité il ne fait que consacrer la primauté de l’OTAN et de son Article 5.
Une PSDC de plus en plus civile
Pour terminer la
liste des déceptions et faiblesses, il convient de jeter un coup d’œil sur la
sempiternelle question du Quartier général militaire de l’UE. En effet, la mise
sur pied d’une capacité permanente de planification et de commandement des
opérations militaires est toujours hors de question. Elle bute toujours sur le
veto de Londres. Or s’il y a une mesure susceptible à la fois de réduire le
temps de réaction aux crises, d’assurer la continuité, de permettre un
véritable retour d’expérience et de supprimer les doublons entre 5 structures
nationales différentes ; cette mesure est bien celle-là. Dommage que le
fameux « pragmatisme » britannique ne s’applique pas dans ce cas.
Le seul moyen de
surmonter la paralysie imposée par la « ligne rouge » du Royaume-Uni serait,
dit-on, une sorte de fusion civilo-militaire. Laquelle résulterait en une
structure mixte, susceptible de devenir une illustration de plus de la volonté
d’étouffer le volet militaire de l’UE sous de doux coussins. Sous le prétexte
de la prétendue approche globale, bien entendu. Une approche globale qui est
justement l’un des premiers risques de régression pour l’Europe de la défense.*
Evidemment, il n’y
a rien de mal à dire que l’UE a besoin de la palette entière de ses instruments
pour gérer les crises. Cela va de soi. Par contre, l’approche globale telle qu’elle
est organisée sens dessus-dessous dans l’UE est un tout autre animal. Elle va
bien au-delà d’une simple coordination étroite. Dans la pratique, elle signifie
l’éparpillement et la marginalisation de la composante militaire dans l’Union
européenne, conformément à l’idéologie pacifiste-atlantiste de certains.
Il est pour le moins
révélateur que le directeur sortant de la DAS (Délégation aux affaires
stratégiques du Ministère de la Défense) compare ce concept adulé et glorifié qu’est
l’approche globale au… « monoxyde de carbone ». Pour Michel Miraillet,
« Vous ne le voyez pas. Vous ne le sentez pas. Mais à la fin on en
crève ! ». En effet. C’est même le but du projet. L’approche
globale n’est qu’un nouveau prétexte, certes très séduisant pour les beaux
esprits, pour étouffer le volet militaire non seulement dans les relations
extérieures de l’UE, mais aussi au sein même de la PSDC proprement dite.
Une PSDC qui flirte avec l’OTAN
Paradoxalement, la rêverie pacifiste sur « l’Europe puissance civile » et l’orthodoxie
otanienne conduisent toutes les deux à un résultat tout à fait similaire. Une Europe conforme à
la vision anglo-saxonne qui n’y voit qu’un précieux auxiliaire civil à l’Alliance
atlantique et à sa puissance militaire. Dans cet esprit, et pour maintenir les
restrictions imposées à l’Europe de la défense au nom de la « complémentarité »
avec l’OTAN, on assiste à un rapprochement continu entre les deux institutions.
Un rapprochement qui, pour certains, devrait culminer en une fusion.
Il n’est peut-être
pas inutile de rappeler qu’au lancement de la PSDC, la France était extrêmement
vigilante à la tenir aussi éloignée que possible de l’Alliance atlantique. Au
point que le Secrétaire général de l’OTAN et le Haut représentant de l’UE (MM.
Robertson et Solana à l’époque) ne pouvaient se voir qu’une fois par mois, lors
d’un petit déjeuner pris en tête-à-tête. Et même pour cela, il fallait préciser
que ce n’était qu’un « petit déjeuner informel ».
Comme l’a noté une
étude du Center for European Reform
britannique, « Les Français semblent
soucieux de ne pas laisser la fleur délicate de la défense européenne se faire
écraser dans une embrassade avec le géant militaire qu’est l’OTAN. Les responsables
français disent parfois qu’une étroite coopération UE-OTAN risque de donner une
influence excessive à l’Amérique dans les politiques étrangère et de défense de
l’UE ». A remarquer que l’auteur eut l’honnêteté d’admettre, tout en
prêchant pour l’inverse, que « les
inquiétudes françaises vis-à-vis des priorités US ne sont pas complètement sans
fondement ».
N’empêche. Le
rapprochement pratique UE-OTAN est devenu aujourd’hui un fait (et que la
dispute turco-chypriote limite toujours les liens institutionnels n’y change strictement
rien). L’équipe de liaison permanente de l’OTAN à l’Etat-major de l’UE d’un
côté, et la cellule de l’UE au SHAPE (commandement de l’OTAN) de l’autre, participent
chacune à la plupart des briefings quotidiens respectifs. Le Secrétaire général
de l’OTAN est devenu un participant régulier aux réunions des ministres de la
défense de l’UE (au point même d’y organiser une rencontre avec la presse, tout
dernièrement). Et ce en plus des innombrables réunions non-institutionnelles,
comme les « dîners transatlantiques » des ministres des Affaires
étrangères UE et OTAN, par exemple.
Le représentant
OTAN du pays qui assure la présidence de l’UE donne un compte-rendu
hebdomadaire au Conseil de l’Atlantique du Nord et au Comité militaire de l’Alliance.
Par ailleurs, la plupart des représentants militaires des pays qui sont membres
des deux organisations portent une double casquette à la fois OTAN et UE (la
France elle-même s’y est résignée, ne laissant à part que la Belgique, le
Luxembourg et la Grèce). Le problème, encore une fois, n’est pas la
coordination per se, mais son
caractère biaisé en faveur de l’OTAN. Petit détail révélateur : même quand
ils discutent de la PSDC, les généraux européens préfèrent passer leurs
journées (en règle générale 6 jours sur 7) au quartier général de l’Alliance.
(Sur la base du
papier: Hajnalka Vincze, Pente glissante: vers la réatlantisation de la
défense européenne, The Federalist n°2-3, 2013)
*Lecture
supplémentaire : « Approche globale » : le danger mortel
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