L'otanisation de la politique de sécurité et de
défense de l’UE
Le domaine de la
défense est l’illustration par excellence des dangers, voire dégâts, d’un
principe longtemps considéré comme la clé de la dynamique européenne, à savoir l’ambiguïté
constructive. Certes, celle-ci permet de garder l’apparence de l’unité et de
donner l’illusion d’une politique. Mais dès qu’elle touche à la défense elle
atteint vite ses limites : un faux pas ici peut mettre des intérêts vitaux
en péril, et enfermer ceux qui le commettent dans des choix contreproductifs pour
au moins des décennies. C’est
justement le risque inhérent à l’expérimentation qui se poursuit sous l'étiquette de défense européenne.
Les deux crises: une opportunité pour ré-européaniser
notre défense
Les discours et les
réflexions sur les questions de sécurité européenne ont été dominés ces
dernières années par deux sujets, présentés comme ayant un impact déterminant
pour l’avenir de l’Europe de la défense. D’une part la crise financière et
économique, de l’autre le repositionnement stratégique américain vers l’Asie. La
première est le plus souvent décrite comme un « cygne noir »,
autrement dit la surprise stratégique
majeure de nos jours, tandis que le soi-disant pivot des Etats-Unis est parfois
perçu comme un abandon de l’Europe par son protecteur-allié, parfois comme un
avertissement-appel pour que les Européens commencent à « faire plus ».
Le plus souvent les deux.
Pourtant, ces
interprétations sont fort trompeuses. Premièrement, la crise ne fait qu’accentuer
et mettre en lumière des tendances budgétaires (la défense utilisé comme
variable d’ajustement) et des préférences idéologiques (mythe de l’Europe puissance
civile) qui avaient déjà été en place. Deuxièmement, pivot ou pas pivot, l’Amérique
n’a nullement l’intention de diminuer son omniprésence dans les domaines stratégiquement
importants (armements, énergie, relations avec la Russie) en Europe, au risque d’y
perdre son formidable contrôle.
Ceci étant dit, les
deux développements parallèles (la crise et le pivot) sont, en effet, une opportunité
unique. A condition de les aborder de façon réaliste, à l’exact opposé des
éléments de langage qui les instrumentalisent. Les conclusions s’imposeraient
elles-mêmes. Et, sans surprise, elles impliquent toutes une redéfinition
fondamentale des priorités en matière de défense européenne.
La nécessité d’une avant-garde sur base de volontarisme stratégique
De nos jours, il
est devenu (enfin) généralement admis que l’approche à 28 (les Etats membres de
l’UE au grand complet) est nécessairement une impasse, du moins dans les
domaines les plus délicats. La défense est, de toute évidence, l’un des
meilleurs exemples de ces secteurs incompatibles avec le dogme de « tous à
la fois ». Ce n’est donc pas un hasard si la « flexibilité » en
matière de défense, longtemps le grand tabou des débats européens, a maintenant
obtenu droit de cité non seulement dans la pratique, mais aussi aux termes du
traité de Lisbonne. Au moins jusqu’à un certain point…
En réalité, la
géométrie variable n’est tolérée que si les diverses configurations « flexibles »
se limitent à des questions opérationnelles et pratiques. D’où la préférence générale
pour des regroupements sur base de capacités. Cette
approche peut sans doute être utile, en particulier pour ce qui est d’encourager
les Etats et d’obtenir des résultats tangibles au cas par cas. Mais elle ne
sauvera pas l’Europe du déclassement stratégique ou, pour reprendre l’expression
d'Hubert Védrine, de « la sortie
de l’Histoire ». Pour rester dans la course sur une scène internationale
en mutation profonde, le lancement d’une avant-garde sur base de vision stratégique serait à la fois urgent et impératif.
(Sur la base du papier: Hajnalka
Vincze, Pente glissante: vers la réatlantisation de la défense européenne, The Federalist n°2-3,
2013)
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