La tribune
du chef de l’Etat à l’occasion de l’anniversaire de la fin de la Seconde
guerre mondiale en Europe (et à quinze jours des élections européennes) laisse
doublement à désirer. D’une part le raisonnement qui y est exposé manque parfois
de cohérence. De l’autre, il ne va pas jusqu’au bout de la partie non-exposée
de son raisonnement.
![]() |
(Crédit photo: francetvinfo.fr) |
Pour commencer, le
Président reprend l’antienne selon laquelle « l’Europe c’est la paix »,
en y ajoutant une référence aux événements récents en Ukraine. Or, justement, l’Europe
y est particulièrement absente, ayant pratiquement délégué l’affaire à l’US/OTAN. Ce n'est sans doute pas un hasard si le texte ne dit pas un mot sur la défense européenne. Si c’est ça l’Europe de la paix, c’est sous tutelle américaine qu’elle se fait (et se défait).
Ensuite, le
Président constate que « l’avenir appartient
aux continents ». Et il précise : « C’est-à-dire à l’union des
nations qui sans rien perdre de leur singularité, conjuguent leurs forces pour
exprimer leur modèle ». Certes. Sauf que, pour cela il faudrait d’abord que l’Europe ne les prive pas de leurs forces. Notamment à travers d’une
mise en concurrence stratégiquement aveugle et d’une politique d’ouverture qui
tient presque du dogme.
Il ne serait pas
inutile non plus d’avoir une même vision quant au « modèle »
à exprimer. Car si l’Europe piétine, c’est justement en raison des divergences
profondes entre Etats membres au sujet du modèle social, économique et politique à suivre. Le Président Hollande oppose, à juste titre, l’Europe
de la dilution (minimale, commerciale, apolitique) à l’Europe de la volonté
(autrefois connue sous le nom d’Europe-puissance, par opposition à l’Europe-marché).
Par contre, il est
inexact de dire que « les Français peuvent décider et imposer
souverainement leur préférence ». S’ils sont en effet « libres de
choisir l’Europe ou de la quitter », une fois le choix fait d’y rester,
ils ne sont plus libres de choisir entre les versions d’Europe possibles.
Pour la simple et bonne raison que les « promoteurs » de l’Europe de
la dilution (camp libéral-atlantiste) sont largement majoritaires sur les
dossiers décisifs.
Ce qui nous amène à
l’affirmation selon laquelle « Il n’est
pas interdit de refuser l’Union. Mais dans ce cas, il faut le faire en
connaissance de cause ». Elle rappelle en miroir l’excellent article d’Hubert
Védrine « Avancer les yeux ouverts » (écrit en 2002, mais qui n’a
pas pris une ride depuis). L’ancien ministre des affaires étrangères y avait
plaidé pour « l’honnêteté intellectuelle » avant d'entamer les prochaines étapes de la construction européenne.
D’après Védrine :
« De deux choses l'une : ou bien
nous acceptons, parce que nous estimons que l'ambition européenne prévaut sur
toutes les autres ou parce que nous jugeons que le cadre européen est désormais
le seul qui nous permette de défendre nos intérêts, de nous fondre
progressivement dans cet ensemble. Et alors nous jouons à fond le jeu européen,
le renforcement des institutions européennes et communautaires, la
généralisation du vote à la majorité. Et nous en acceptons par avance toutes
les conséquences. Ou bien, considérant que nous ne pourrons pas préserver avec
9 % des voix au Conseil, 9 % des membres du Parlement, un commissaire sur 25,
des positions et des politiques que nous jugeons fondamentales, nous refusons
ce saut institutionnel. »
Le chef de l'Etat espère pouvoir escamoter ce choix, grâce à l’idée d’avant-garde.
Pour lui, « l’Europe de la volonté » c'est celle qui « avance plus vite avec les pays qui le
veulent ». Comme il l’avait expliqué lors de la dernière conférence des ambassadeurs : « Il est
temps de tirer les conclusions des rapports différents qu'entretiennent les
pays membres par rapport à l'Union européenne. J'entends aller plus loin avec les pays qui sont décidés à aller
de l'avant. C'est notre projet d'intégration solidaire dans une ‘Europe
différenciée’. Où les rythmes, les contenus et même les règles de décisions
seraient distincts. Tout en gardant l'union de tous comme espace de liberté, de
démocratie et de solidarité ».
Ce disant, le
Président est en
phase avec l’opinion
publique, et il se place dans la lignée des nombreuses réflexions
sur une nécessaire distinction entre les projets d'Europe-espace et d'Europe-puissance. Mais pour que cela ait un sens, il faudrait que l’avant-garde
se différencie aussi (et surtout) par son ambition véritablement stratégique.
Or force est de constater que les partenaires potentiels ne se bousculent pas. Ce qui nous laisse encore une fois avec cette phrase
prémonitoire du Général : « En
attendant que le ciel se découvre, la France poursuit par ses propres moyens ce
que peut et doit être une politique européenne et indépendante ». Pourvu
que ses dirigeants partagent toujours cette exigence...
No comments:
Post a comment