Observer de près la bien-nommée relation
spéciale entre la Grande-Bretagne et l’Amérique est divertissant à plusieurs
titres. Outre le spectacle hallucinant de la dépendance extraordinaire dans
laquelle les vaillants Britanniques se sont enfermés au fil du temps, le sujet
apparaît à la fois comme une échappatoire bienvenue et comme une mise en garde
édifiante.
Echappatoire, parce qu’il permet de traiter
autre chose que la dégringolade en cours de ce qui devrait normalement être la
politique étrangère indépendante de la France (humiliation sur le
dossier syrien, achat de
drones américains, tergiversations
sur le contrat Mistral, intervention
en Irak sous direction US). Mise en garde aussi, puisqu’à force de continuer
dans la voie empruntée depuis déjà plusieurs années, on se dirige justement
vers une situation tristement similaire à celle de nos amis d’outre-Manche.)
1. Sur les mobiles de l’engagement en Irak,
en 2003, l’ancien aide-de-camp du chef de l’Etat-major britannique ne laisse guère de doute. « Nous sommes allés en Irak en raison de
notre relation stratégique avec les Américains ». Ça a le mérite d’être
clair. Pas de charabia sur les armes de destruction massive, sur les atrocités
d’un dictateur sanguinaire ni sur la libération du peuple irakien. Rien que du
suivisme pur et simple.
Comme l’avait noté Chris
Patten (figure emblématique du conservatisme britannique, ancien
gouverneur de Hong-Kong et ex-Commissaire européen aux Relations extérieures): « La Grande-Bretagne a fait la guerre
parce que l’Amérique a choisi de faire la guerre ». Le reste n’est que
ce qu’un responsable US nomma « l’incessante
rationalisation, laquelle est l’un des aspects les moins attrayants de la
politique étrangère britannique ». Peu attrayant, certes. Néanmoins
nécessaire.
Car sans un tel effort de rationalisation « l’atlanticisme »
britannique (à savoir la fait que, pour citer de nouveau Patten, « l’Amérique a invariablement et à
juste titre suivi ses intérêts, et la Grande-Bretagne a invariablement, et pas
toujours à juste titre, présumé que son intérêt national à elle était de s’aligner
sagement derrière l’Amérique ») apparaîtrait pour ce qu’il est :
une erreur de calcul monumentale. Avec des conséquences catastrophiques et sans
aucun, strictement aucun, avantage.
2. Le conseiller spécial du ministre
britannique de la Défense est un officier du renseignement… américain. Non
pas qu’il n’y ait pas d’officiers britanniques tout aussi qualifiés, mais soi-disant
« pour ouvrir des portes au Pentagone »,
selon un haut gradé de Sa Majesté. Auquel argument certains n’ont hésité à
rétorquer que, pour ce faire, les plus de 400 soldats britanniques tombés en
Afghanistan devraient amplement suffire. La réponse dudit militaire : « Vous ne connaissez pas le Pentagone ».
Visiblement, le ministère britannique de la
Défense non plus. Ou c’est qu’ils sont tellement contents de pouvoir s’y
introduire de temps à autre, que peu leur importe si l’influence qu’ils peuvent
espérer y exercer est toujours égale à nul. Comme l’avait résumé un ancien
directeur du Chatham House britannique : « Etant donné la complexité byzantine de la politique washingtonienne,
il a toujours été peu réaliste de croire que des puissances extérieures – aussi
loyales qu’elles soient – puissent avoir de l’influence sur le processus
américain de prise de décision ».
Au pire, les Britanniques sont humiliés.
Comme sur le dossier irakien, lorsque l’activisme de Tony Blair (en vue de
persuader Washington de la nécessité d’une estampille de l’ONU) a été doublement
tourné en dérision. Par le Secrétaire à la Défense Donald Rumsfeld d’abord,
lorsqu’il suggéra que l’Amérique était prête à partir en guerre sans Londres.
Ou encore par le chef de cabinet du vice-président US, qui avoua à un haut gradé
britannique ne pas bien comprendre pourquoi Blair s’agitait tellement au sujet
de l’ONU, « puisqu’il [Blair]
viendra avec nous de toute façon ».
Au mieux, personne ne les prend au sérieux.
Comme Chris
Patten l’a remarqué, « quelles
que soient les erreurs désastreuses commises par la puissance d’occupation [en
Irak] il n’est jamais venu à l’idée de personne de pointer un doigt accusateur
vers les Britanniques. Personne ne tient la Grande-Bretagne pour responsable,
parce que personne ne pense, même pas pour une nanoseconde, que la Grande-Bretagne
soit impliquée dans les décisions ». En effet, elle ne l’est pas. Ce
qui ne l’empêche pas d’envoyer ses soldats sur le champ de bataille.
3. La Cour des comptes britannique (NAO ou National
Audit Office) lève le voile sur ce que signifie, pour la défense britannique,
la décision de priver leurs futurs porte-avions de catapultes/brins d'arrêt au profit de
l’option STOVL (décollage court et appontage vertical). Outre le fait que celle-ci
impose, de fait, l’achat de Joint Strike Fighters américains et qu’elle
est incompatible avec les Rafales, c’est surtout un renoncement formidable. « L’acceptation d’une carence en
matière de DPOC (deep and persistent offensive capability) est, d’après le rapport, un facteur clé »
dans les calculs entourant le choix.
Manifestement, cela ne s’est pas fait sans
mal : le rapport du NAO de noter que le ministère aurait changé d’avis
trois fois en deux ans sur l’importance (ou pas) de maintenir une capacité d’attaque
en profondeur. (N.B. : le rayon d’action et la charge utile des avions
STOVL sont tous les deux considérablement réduits par rapport à la version
embarquée conventionnelle). Mais Whitehall a finalement abouti à la conclusion
que ce n’est sans doute pas aussi crucial que cela, puisque son grand allié s’en
chargera.
Ce qui est logique, en quelque sorte, sachant
que de l’aveu même des ministres britanniques, le Royaume-Uni n’envisage plus de
s’engager dans une opération militaire d’envergure autrement qu’aux côtés des
Etats-Unis. Or pour ce qui est d’assurer simplement la protection d'une flotte multinationale dirigée par l'Amérique, les futurs/éventuels Joint Strike Fighter (version STOVL) de Sa
Majesté sauront certainement se montrer fort utiles. C’est déjà ça.
No comments:
Post a Comment