Veuillez
trouver ci-après le résumé de mon intervention au Forum académique sur la
sécurité en Europe, en juin dernier à Strasbourg, sur le thème de « Libye, Mali, République
centrafricaine – la nouvelle phase de la PSDC* à travers les récentes opérations
franco-européennes ».
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(Crédit photo: FASE/Véronika SIMONOVA) |
Du pont de vue sécuritaire, la région
méditerranéo-sahélienne constitue un ensemble qui est, d’après le dernier Livre
blanc, une « zone d’intérêt prioritaire » pour la France. Les
enjeux qui y sont liés sont pour le moins considérables. Outre la protection des ressortissants, la
menace terroriste et les mouvements de migrants, la région est cruciale comme source d’approvisionnement en matières stratégiques, mais aussi pour assurer une présence
sur un nouvel échiquier géopolitique. Sur lequel échiquier se joue ces derniers temps une
lutte d’influence de plus en plus marquée entre les puissances.
Or, au sujet de l'instabilité de la situation sécuritaire dans cette zone, le chef d’état-major des armées, le général
Pierre de Villiers parle d’un « combat qui se régionalise, de la
Mauritanie à Tchad, de la Libye au Burkina ». Mais malgré quelques
gesticulations timides et des fleurs de rhétorique, le désintérêt des
partenaires européens de la France reste palpable. Accompagné d’une réticence
pour les engagements militaires en général, et pour le choix de l’UE, en
particulier, comme cadre. Pour rappel : en février 2013, alors que la France
était déjà engagée au Mali, seuls sept Etats membres sur les vingt-sept se sont
pointés à la réunion des ministres des Affaires étrangères, consacrée à l'Afrique.
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(Crédit photo: FASE/Véronika SIMONOVA) |
Le
verre à moitié plein ou à moitié vide
On rencontre, en général, deux lectures
diamétralement opposées quant à la prestation récente des Européens sur le
continent africain. La première se réjouit de voir la défense européenne sortir
de ce qu’il est devenu commun d’appeler sa période d’hibernation. Elle se
félicite non seulement de la multiplication des mini-missions sous drapeau
européen, mais aussi du soutien qu’apportent à la France, sur base bilatérale, ses
partenaires. La seconde lecture met en exergue le fait que les opérations
engagées par l’UE sont d’une ampleur, d’une ambition et d’un impact fort restreints. Et que la Libye, le Mali, la Centrafrique sont, surtout, autant d’occasions
manquées pour l’Europe de la défense (après, d’ailleurs, l'ex-Yougoslavie, l’Albanie
et le Liban).
Toutefois, plutôt que de se focaliser sur la
question de savoir si l’Europe a été au rendez-vous ou pas, on pourrait partir
d’un simple constat. A savoir que la défense européenne s’est réveillée,
certes, mais en empruntant une trajectoire qui la mène très loin de ses
ambitions initiales. Que ce soit le choix du cadre otanien en Libye, la
glorification d’une simple mission de police des mers au large de la Somalie, ou
encore l’extraordinaire difficulté à rassembler quelques dizaines de soldats à partir
de 27 pays partenaires au Mali, les récentes opérations en Afrique sont
symptomatiques d’une défense européenne en régression. Sous l’effet, notamment,
d’une double pression.
La
polarisation de l’Europe de la défense
En bref, la défense européenne est en train de
se perdre, tiraillée entre deux extrêmes. L’une lui fait perdre sa dimension
« défense », l’autre son caractère « européen ». On
assiste, d’un côté, à une civilianisation furtive qui, sous prétexte d’approche globale,
y marginalise la dimension militaire proprement dite. De l’autre, à une
otanisation rampante, perceptible en premier lieu par le souci croissant, au
sein même de la PSDC, de favoriser l’Alliance atlantique. Ces deux tendances
sont simultanément à l’œuvre, et s’observent à merveille à travers telle ou
telle opération africaine de l’UE.
Civilianisation d'un côté...
Pour ce qui est de la marginalisation délibérée
du volet militaire de l’approche « globale », les missions civiles de
l’UE sont les premières à souffrir de ses conséquences néfastes. Leur
efficacité est souvent limitée par l’absence d’élément militaire crédible,
comme en Somalie ou en Libye. Où les missions civiles respectives doivent de
temps à autre quitter le pays pour cause d’insécurité (et de manque de moyens
de sécurisation du personnel civil). En Libye, la mission d’assistance à la
gestion des frontières ne peut pas se déployer au Sud, pourtant foyer
prioritaire de crise, et doit se contenter d’opérer (quand elle n’est pas
repliée sur Malte) à partir d’un hôtel à Tripoli.
Quant aux opérations militaires récentes sous
enseigne européenne, elles sont d’une ambition plutôt restreinte. Au Mali et en
Somalie, il s’agit de missions de formation des forces locales, et l’opération
navale Atalanta, citée partout comme le joyau de la défense européenne, est
une opération de police des mers. Comme le ministre britannique des forces
armées britanniques l’a remarqué à la Chambre des Lords : « un tir
d’avertissement, voire la simple visibilité d’armes suffit pour dissuader les
pirates ». C’est d’autant mieux, ajoutons-le tout de suite. Sauf si c’est le
nec plus ultra des missions possibles et imaginables.
Même en Centrafrique, la force européenne –
laborieusement réunie – fait ce qui, d’après le ministre français de la défense « s’apparente
davantage à de la police intérieure » qu’à de quelconques opérations de combat.
Ce qui n’est pas, encore une fois, un problème en soi (loin de là), mais à
condition d’appeler un chat un chat. Car la confusion, délibérément entretenue,
sert surtout à masquer le détricotage des ambitions initiales. Qui se souvient
aujourd’hui que la défense européenne devait inclure les « missions de forces
de combat, y compris les plus exigeantes d’elles », au départ?
Ces jours-ci, on ne parle que de missions de
police où, de surcroît, l’essentiel est de ménager au maximum les soldats.
Comme l’a observé le président de la Commission des Affaires étrangères et de
Défense du Sénat, « il faudra être vigilant à la manière dont la force
européenne sera utilisée sur le terrain, pour ne pas casser la mécanique
positive qui est en marche ». Cette mécanique positive étant qu’après plusieurs
mois d’atermoiement, cinq réunions de génération de forces et les interventions
publiques du président Hollande et du Secrétaire général de l’ONU, la force
européenne est, enfin, en place. Il est vrai que les soldats français comptent
pour la moitié de son effectif total…
Otanisation de l’autre…
En réalité, tous ces épisodes s’inscrivent dans
la démilitarisation furtive de la PSDC, qui va de pair avec la mise en avant,
de plus en plus évidente, de la loyauté envers l’Alliance atlantique. Certes,
en principe, il n’y a pas de relation d’hiérarchie entre l’OTAN et la PSDC, les
deux évoluant, d’après les textes, sur la base de leurs autonomies respectives.
Mais ce n'est pas ce qui se passe dans la pratique. Là, les préférences
atlantistes des Etats membres de l’UE font que, selon la vision dominante, tout
ce qui a trait au militaire doit être coordonné et, sous prétexte de
coordination, de plus en plus subordonné à l’OTAN.
Sur ce point, les Britanniques mènent le
jeu. Ce n’est pas un hasard s’ils se sont portés volontaires pour prendre les
devants dans la seule opération européenne d’envergure. Si le quartier général d’Atalanta
est à Northwood, c’est aussi pour pouvoir le situer dans le même bâtiment que le
commandement de l’opération anti-piraterie de l’OTAN. Cette même opération
otanienne qui fut lancée à l’époque dans la panique la plus totale, de peur de voir
l’UE devancer l’Alliance dans la lutte contre les pirates. Et si le commandant
d’Atalanta est britannique, c’est aussi pour pouvoir s’éclipser au profit du
commandant US de l’opération de l’OTAN, lorsqu’il s’agit de présenter la
coordination internationale (sous la direction de l'UE) aux médias.
Autre épisode révélateur, la décision d’extension
de l’opération de l’UE, en 2012, a été suspendue à une « réserve d’attente »
britannique, Londres refusant de donner son feu vert tant que l’OTAN n’aura
pris une décision similaire. L’obstination britannique ne cesse de créer des
situations surréalistes. Ainsi, l’ancien ambassadeur français au COPS (comité
politique et de sécurité, cheville ouvrière de la PSDC) raconte que lors de l’intervention
en Libye, alors que Français et Britanniques s’engageaient coude à coude sur le
terrain, au COPS ils étaient les plus farouches adversaires. Les Britanniques
ne jurant que par l’OTAN et refusant tout recours à l’Union européenne.
Le refus catégorique du cadre européen pour des
opérations militaires proprement dites explique l’obstination britannique à
continuer de mettre leur veto à l’idée d’un quartier général militaire pour la
PSDC. Ce qui est d'ailleurs un point de désaccord persistant entre Londres et le reste des
Etats membres (pourtant tout aussi pro-OTAN), tellement cette absence défie le
bon sens. Mais outre la priorité donnée à l’Alliance atlantique, l’otanisation
a un autre volet, celui-ci plus subtil. Il s’agit là d’une transformation
progressive de notre manière de faire la guerre, du fait de l’adoption de plus
en plus complète d’un mode opératoire américano-otanien.
Or, cette « nouvelle
forme d’action, qui privilégie les frappes à distance et sans intervention au
sol », comme l’a décrit le général Bentégeat, ancien chef d’état-major, comporte à la fois certains avantages militaires (comme
éviter l’enlisement, limiter les pertes amies) et de sérieux inconvénients
politiques. Un cas d’école, à cet égard, fut l’intervention en Libye. Car,
toujours selon le général Bentégeat, ce mode opératoire accentue forcément
notre dépendance aux Etats-Unis et implique, au passage, un « manque de contrôle sur les
belligérants, et donc sur le résultat final ». Dont les conséquences n’étaient
que trop évidentes, hélas, alors que la Libye plongeait dans le chaos le plus
total.**
Conclusion
Les récentes opérations européennes sur le
continent africain renforcent l’impression selon laquelle l’Europe de la
défense est en train de s’enfermer dans le piège d’une polarisation.
D’un côté, la civilianisation furtive de la politique de défense de l’Union
européenne s’accélère. Or la marginalisation de la dimension militaire dans
l’UE se fait à la fois au détriment de l’efficacité du volet civil de la
gestion des crises et au prix d’une autolimitation presque caricaturale des
opérations soi-disant militaires.
De l’autre côté, en dehors de l’UE, les
Européens sont de plus en plus tentés par une américanisation/otanisation de
leur manière de faire la guerre. (Le mode d’action importé des Etats-Unis favorise,
ajoutons-le tout de suite, l’importation de toute la quincaillerie y afférente
aussi). Or l'Europe risque de se condamner à ne faire que de la figuration
et/ou de la sous-traitance en matière militaire, tant qu’elle restera limitée
ainsi par les préférences pacifistes et/ou atlantistes de ses Etats membres.
***
*La politique de sécurité et de défense commune
de l’Union européenne.
**Nota
bene, il convient d’être particulièrement vigilant par rapport aux projets de
réduction des forces françaises prépositionnées en Afrique. Comme le note un rapport récent du Sénat
« la réduction de l'empreinte au sol correspond à l'espoir que les crises
à venir ne nécessiteront que des interventions exclusivement aériennes, à
l'image de l'opération HARMATTAN en Libye ». Comme si c’était un exemple à
suivre, au vu du résultat politique…
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