La dernière Lettre de la Représentation militaire de la France à
l’UE aborde le concept de la « guerre hybride » (très en vogue à la suite de la crise russo-ukrainienne, comme si on venait de découvrir qu'une guerre se conduit sous des
formes multiples, dans des dimensions à la fois militaires et civiles). La
conclusion que l’on en tire est édifiante à plus d'un titre. Dans le contexte
UE-OTAN d'abord, le thème de la guerre hybride est exploité à fond pour
accélérer la tendance, de moins en moins dissimulée, d’un approchement/fusion,
forcément très déséquilibré, entre les deux organisations. Du côté de la
France, on a l'impression que ce n'est pas un hasard si, réintégrée dans
l’OTAN, elle avait fini par se faire représenter désormais, elle aussi, par une
seule et même personne à la fois à l’UE et dans l’Alliance.
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Parlant de "guerre hybride"... |
A la lecture de la
Lettre, on a la confirmation qu'entre les deux casquettes du Représentant militaire
français, l'harmonie est parfaite. Ce qui n'est pas nécessairement si bonne
nouvelle. En effet, le message de la RMF UE est exactement le même que celui
que le secrétaire général délégué de l’OTAN, l’américain Alexander Vershbow, venait
faire passer le 5 mars 2015 à Riga, à la Conférence interparlementaire pour la
politique de sécurité et de défense commune de l’Union européenne (PSDC). Le
même raisonnement, la même conclusion, et qui sent le « made in Washington »
- au point que l'on commence à se poser des questions sur l'autonomie
d'appréciation et de réflexion.
D’après Vershbow, « la
nécessité d'une coopération encore plus étroite entre l'OTAN et l'Union se fait
plus pressante que jamais », ajoutant que les deux organisations devraient «
coordonner davantage leurs approches en vue de contrer la guerre hybride, de
dénoncer la propagande et la désinformation, et de défendre nos valeurs
démocratiques communes ». Il a souligné que « toute réponse à
des menaces hybrides devait être ‘multiforme’, et que l'OTAN et l'Union
européenne devaient combiner l'usage de la ‘force dure’ et de la ‘force
douce’. »
Surprise, suprise :
la Lettre de la RMF UE arrive à une conclusion identique. Avec le « French
touch » en plus, mais un « French touch » plutôt atlantiste. En
se posant « la question de la réponse nécessaire aux menaces
hybrides », la Lettre observe « qu’il faut initialement
noter que l’OTAN, pilier de notre défense collective, n’a pas à sa disposition
les outils qui lui permettent de réagir à une telle menace et qu’une
coordination suffisante avec les institutions disposant de ces outils, en particulier
l’UE, fait pour le moment défaut. Cette carence a donc été utilisée comme une
faiblesse dans le cadre de la crise ukrainienne. »
Une « faiblesse »,
rien que ça, à savoir le fait de ne pas avoir mis les moyens de l’UE au service
de l’OTAN. Une OTAN où le la est donné par Washington, appuyé et acclamé par le
chœur de nouveaux Etats membres, sur fond de russophobie virulente. Il faut
dire que les « stratèges » de l’Alliance rêvent depuis fort longtemps
de faire passer les instruments civils (financiers, économiques) de l’UE sous
le giron de l’US/OTAN. Ce ne serait rien d’autre que le fameux « Berlin
plus à l’envers »*, réclamé plus ou moins discrètement, cela dépend des
circonstances, par ceux qui souhaitent que l’OTAN prenne définitivement
l’ascendant.
C'est en tenant
compte de ce contexte qu'il convient d'apprécier le petit passage de la Lettre
de la RMF UE. Il est l'exemple type du nouvel argumentaire atlantiste, devenu
infiniment plus subtil depuis que la France y apporte, elle aussi, son esprit.
A la place de l’habituel éloge de l'OTAN et le tout aussi habituel mépris pour
la PSDC, on préfère mettre en avant les limites de l'Alliance (sans oublier d'y
ajouter quand même qu'elle est le pilier de notre défense) et mettre en
valeur l'extraordinaire richesse des instruments de l'Union européenne. La
conclusion s'impose (presque) d'elle-même.
Une meilleure
coordination serait donc nécessaire, soi-disant. Sauf que, contrairement à ce
que ce raisonnement laisserait entendre, la réalité des rapports de force et la
réalité des affinités atlantistes des Etats membres font qu’une telle « coopération »
entre l'UE et l'Alliance impliquerait mécaniquement la soumission collective
des institutions européennes à la ligne fixée par Washington/OTAN. Le comble, c’est
que la Lettre semble déplorer que ce ne soit pas encore le cas. En effet, si
cette « carence » n'existait pas, si l'Amérique n'était pas contrainte
d'opérer par des moyens obliques (soit par des pressions
soit par l'entrisme),
les choses auraient été beaucoup plus simples dans la crise ukrainienne. Et
l'escalade beaucoup plus rapidement atteinte.
*Le nom fait référence à l’accord
Berlin plus OTAN-UE, de 2002, qui permet, en principe, une mise à disposition
des moyens militaires de l’OTAN pour les opérations de l’UE. Une manœuvre
envisagée à l’époque surtout pour étouffer dans l’œuf les velléités d’autonomie
de la politique de défense européenne nouvellement créée.
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